La Loi Sapin anticorruption et pour la protection des lanceurs d’alerte

Michel Sapin présente ce mercredi 30 mars 2016, son projet de loi en conseil des ministres.

Le ministre des Finances entendait ainsi répondre aux critiques récurrentes de l’OCDE et de l'ONG Transparency et changer l’image de la France, au 23e rang du classement, donc pas vraiment de quoi pavoiser en ce qui concerne la lutte contre la corruption…

Les grandes entreprises seront tenues d’instaurer des mesures anti-corruption telles que l’élaboration d’un code de conduite, la vérification de l’intégrité des clients et fournisseurs, le recrutement de spécialistes conformité et la formation des cadres. Une nouvelle Agence nationale de prévention et de détection de la corruption (ANPDC)en contrôlera leur mise place dans les sociétés, avec le pouvoir de sanctionner les manquements par une amende jusqu’à 1 million d’euros. Sa mission s’étend également à la protection des lanceurs d’alerte,

qui signalent des cas de corruption, trafic d'influence et prise illégale d'intérêts. Leurs témoignages pourront être anonymes zt/ou dédommagés. Cette agence satisfait les ONG, qui cependant regrettent une tutelle des ministères… des Finances et de la Justice.

Pour l’instant, une seule entreprise a été condamnée depuis l’adoption de la convention de l'OCDE contre la corruption en 2000 : Total, dans l’affaire Pétrole contre Nourriture, a écopé en appel d’une amende de... 750 000 € après 11 ans de procédure et, s’est pourvu en cassation ! L'absence de condamnations a créé un climat de soupçon envers notre pays, a reconnu le ministre des Finances. Michel Sapin admet toutefois que la justice et la police manquent de moyens. C'est pourquoi le ministre s'était laissé convaincre d'introduire une innovation juridique constituant une petite révolution autant pour la justice française que le monde des affaires : une transaction pénale inspirée du Bribery Act américain. Cette procédure permet aux sociétés de passer un accord avec le Department of Justice (DoJ) : sans avoir à reconnaître leur culpabilité, elles acceptent de payer une forte amende puis de mettre en place des mesures internes interdisant toute récidive. En contrepartie, les entreprises obtiennent un arrêt des poursuites pénales.

Cette forme de justice négociée existe aussi au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Italie, en Suisse, en Espagne et en Allemagne, où plus de 50 entreprises ont été sanctionnées depuis 2000. Le pragmatisme incite à se doter de cette possibilité, qui fonctionne ailleurs… souligne le président de Transparency France, Daniel Lebègue.

Le Conseil d’Etat a cependant retoqué la transaction

Medef et Afep, ont fait un lobbying intensif et Matignon a tranché en faveur de la mesure.

Mais, suite à un avis négatif du Conseil d’Etat, la possibilité de transaction financière pour les entreprises accusée a du être retirée du projet de Loi… Il a relevé les nombreuses questions posées par cette innovation tout en soulignant sa réelle efficacité dans la lutte contre la corruption, s’est dérobé Michel Sapin.

Alors, pourquoi les dirigeants tiennent tant à négocier alors qu'en France, ils s'en sortent bien au tribunal ? Parce qu’impunis à domicile, ils se font rattraper d'autant plus sévèrement… outre-Atlantique ! Le DoJ s’est en effet doté de moyens de poursuivre les sociétés étrangères pour corruption, hors du territoire américain. En 6 ans, 4 groupes français ont été acculé à transiger et à payer 1,6 milliard $, au total. De plus, un moniteur indépendant rend compte de la mise en place des mesures anti-corruption. Les Américains encaissent nos amendes et imposent leurs contrôles. Derrière l'humiliation, cela nous expose à des risques d'espionnage, fustige Joëlle Simon, directrice juridique du Medef. Si notre justice était plus efficace, le DoJ serait sûrement moins offensif envers les sociétés françaises…