Tunisie : la révolution continue…

En Tunisie, l’année 2018 a commencé sous le signe de la contestation.

Chômage, corruption et mesures d’austérité annoncés ont fait descendre de nombreuses personnes dans les rues.

7 ans après la chute de Ben Ali**, des milliers de personnes se sont rassemblées ce 14 janvier sur l'avenue Bourguiba dans le centre de Tunis. L’anniversaire de la chute de l'ancien chef de l’Etat est considéré comme un jour de fête, synonyme de liberté mais également l’occasion de dénoncer le budget 2018.

C'est un beau jour pour la Tunisie ! Nous sommes là pour célébrer la paix, la réconciliation…, a déclaré une Tunisoise de 73 ans à France 24. Malgré l'ambiance festive, l'événement a été placé sous haute surveillance policière.

La révolution continue ! martelaient les manifestants. Le slogan retentit au même endroit où la foule hurlait dégage à son président. Beaucoup de Tunisiens estiment avoir gagné en liberté mais perdu en niveau de vie. Gouvernement, démission !, Le peuple veut enterrer la loi de finance ou le pays s'embrase pendant que le gouvernement fête la révolution, criant ceux qui dénoncent les hausses d'impôts prévues alors que le pouvoir d'achat est déjà éprouvé par l’inflation. Ils réclament également une lutte plus efficace contre la corruption.

Prêts pour la révolution du couffin…

Selon un sondage publié par le Centre républicain international (IRI), 68 % des Tunisiens jugent ainsi la situation économique du pays comme très mauvaise. La loi de finance cible les Tunisiens les plus pauvres, fustige un professeur de philosophie de 48 ans. Ce couffin est à l'envers comme notre économie où on prend aux pauvres pour donner aux riches et il est vide comme les caisses de l'État, explique-t-il en brandissant un panier retourné au bout d'une perche. Les prix augmentent tous les jours, insiste-t-il. En 1984, on a manifesté pour le prix du pain, en 2011, on a fait tomber Ben Ali, rappelle-t-il Aujourd'hui, nous sommes prêts pour la révolution du couffin, conclut-il.

Frustration de tous ceux qui ne se sentent pas entendus

Nous avons des choses à demander. Certes, aujourd’hui, les médias sont libres, la société civile est libre, les organisations sont libres. Mais d'un point de vue économique, rien n'a changé, explique un diplômé de 25 ans. Avec 2350 autres candidats au Capes 2017, il n’a toujours pas de poste malgré sa réussite au concours d'État censé leur ouvrir les portes de voie de l'enseignement… Maintenant que nous sommes un pays de droit, l'État va nous donner accès à nos droits !, espère-t-il.

Moins enclins à la modération avec l'État et les institutions les militants du mouvement Manish Msamah* scandaient : 7 ans après, nous ne pardonnons pas !, en brandissant des photos de martyrs de la révolution. Je ne pardonne pas à notre gouvernement corrompu de voler l'argent public avec cette loi de réconciliation. Je ne pardonne pas non plus pour le sang qui a coulé pendant la révolution sans que les victimes obtiennent une justice équitable, débite d’une traite une ingénieure au chômage de 27 ans, désignée porte-parole du mouvement, pour la journée. Nous vivons dans un état policier qui nous opprime, a-t-elle poursuivi.

Nombre de manifestations se sont transformées en affrontements avec les forces de l’ordre. Alors qu'un manifestant à été tué à Tebourba, à 30 de km de Tunis, 937 arrestations ont été recensées, notamment des jeunes âgés de 15 à 19 ans. Ils ont été placés en détention préventive, pour des actes de violences, de vol ou de vandalisme, selon Khlifa Chibani, porte-parole du ministère de l’intérieur.

Les jeunes interpellés doivent être jugés à partir du 18 janvier 2018. Alaa Talbi président du Forum tunisien des droits économiques et sociaux*, redoute une justice expéditive. Selon lui, marginalisation et déscolarisation motivent la colère de ces jeunes qui se sentent déjà exclus.

Le gouvernement a promis un plan d'action social qui doit bénéficier à plus de 120 000 personnes. Il prévoit une augmentation de l'allocation sociale, une aide à l'accès à la propriété pour les familles défavorisées ainsi que la mise en place d’une couverture médicale pour tous. Ces mesures devraient coûter plus de 70 millions de dinars, soit (23,5 millions d'€). Mais ces annonces ne font pas taire les revendications.

Issus de la société civile,  les militants de #Fech Nestanew (qui signifie Qu’est ce qu’on attend) sont à l'origine du mouvement lancé début janvier. Ils ont défilé déguisés en clowns. C’est un symbole pour dire que nous ne sommes pas des casseurs ni des voleurs comme le gouvernement veut le faire croire, explique une étudiante en droit de 22 ans. Les jeunes tunisiens sont désespérés. Ils pensent que la révolution leur a été volée. Nous avons attendu 7 ans mais aujourd'hui, la jeunesse ne va plus se taire, assure-t-elle.

Fech Nestanew appelle à une nouvelle mobilisation ce 20 janvier.

*ONG de défense des droits de l'Homme

**Ben Ali est en exil en Arabie saoudite

*** traduit justement, littéralement par : Nous ne pardonnons pas…