Gambie : Pourquoi Yahya Jammeh s’accroche au pouvoir ?

Le président sortant, Yahya Jammeh, refuse toujours d'admettre sa défaite aux élections présidentielles du 1er décembre.

Il exclut de quitter le pouvoir alors qu'Adama Barrow, son successeur doit prêter serment ce jeudi 19 janvier à l’ambassade gambienne de Dakar.

Dénonçant un niveau d'ingérence étrangère exceptionnel et sans précédent" dans le processus électoral du pays, Yahya Jammeh avait proclamé janvier l'état d'urgence, ce mardi 17 janvier, 2 jours avant la fin de son  mandat.

Des troupes sénégalaises et nigerianes, sous mandat de la Communauté économique des États d'afrique de l'Ouest (Cédéao), sont actuellement regroupées stationnées à la frontière sénégalo-gambienne.

Tandis que le Conseil de sécurité de l'ONU doit voter sur un texte autorisant une intervention militaire afin d'assurer la passation de pouvoir.

Jean-Claude Marut, chercheur au laboratoire Les Afriques dans le monde du CNRS et professeur à Sciences-Po Bordeaux, analyse ainsi la situation pour France 24 :

Cette investiture pose 2 problèmes : Adama Barrow ne prête pas serment dans son pays mais  le fait à Dakar. Les relations entre les 2 pays sont compliquées depuis longtemps, avant même l’arrivée au pouvoir de Yahya Jammeh, il y a 22 ans. Le Sénégal veut, à terme, faire disparaître l’enclave gambienne comme il l’avait déjà tenté en 1981, avec la confédération de Sénégambie qui a duré jusqu’à 1989. Le comportement des militaires sénégalais a laissé de mauvais souvenirs à Banjul… et a renforcé le nationalisme gambien.

La méfiance subsiste, y compris chez les jeunes et la prise en charge d’Adama Barrow par le Sénégal est donc très mal perçue. Mais le Sénégal et les responsables de la Cédéao ne semblent pas en avoir conscience. De toute façon l’intérêt sénégalais est de resserrer les liens en travaillant avec le nouveau pouvoir gambien pour aller vers une unification ou une nouvelle confédération.

La Gambie est un territoire large de quelques dizaines de km seulement et long de 320 km. Une armée peut facilement atteindre n’importe quel point. Le pays est très vulnérable, tant par voie terrestre qu’aérienne ou navale. De plus, Banjul, est située à l’extrémité d’une presqu’île… Si Yahya Jammeh est toujours dans son palais, cela ne devrait pas être très difficile de le bombarder. Les informations sur l’évacuation de l’hôpital voisin penchent en faveur de cette possibilité.

Alors que ses alliés se raréfient : ses ministres démissionnent l’un après l’autre… tout semble être contre lui, Yahya Jammeh s’accroche. Ousman Badjie, le chef d’état major de l’armée gambienne, (environ 5 000 hommes), aurait déclaré avoir demandé à ses troupes de ne pas se défendre. Dans ce cas, cela remettrait en cause l’intérêt d’une intervention militaire. En revanche, si l’armée gambienne résiste, on peut penser que les maquisards de Salif Sadio, une issu de la rébellion de Casamance (région sénégalaise au sud de la Gambie) pourrait venir défendre Yahya Jammeh puisqu’il les soutient depuis les années 2000 : quelques centaines de combattants… de plus !

Or, Yahya Jammeh n’est pas fou. Parfois brutal et sanguinaire, il a tenté de fines manœuvres pour rester au pouvoir, même s’il a échoué notamment avec son recours à la Cour suprême. Ses solutions politiques n’ont pas marché, pas plus que les tentatives diplomatiques de la Mauritanie. La médiation du Maroc était sa meilleure occasion de mais il ne l’a pas saisie. Il craint peut être un procès comme celui d’Hissène Habré, l’ancien président tchadien. Pourtant, après plusieurs discours contradictoires, Adama Barrow lui a garanti qu’il ne serait ni inquiété ni exilé mais des responsables du régime, redoutant eux aussi des sanctions, font donc sans doute pression sur lui pour le pousser à tenir : un dernier baroud d’honneur !