Genève II : Lakhdar Brahimi, l'envoyé de l'ONU, s'est fait magicien pour la Syrie

Contre toute attente, l'envoyé de l'ONU Lakhdar Brahimi, médiateur international, a réussi à réunir les conditions pour permettre aux deux camps de négocier. Comment l'envoyé de l'ONU a-t-il réalisé ce qui demeurait encore impensable quelques heures avant ? Le diplomate algérien chevronné s'est livré à un habile tour de passe-passe diplomatique…

Jeudi 23 janvier, à la veille de la première rencontre, en trois ans de conflit armé, entre le régime de Bachar el-Assad et ses opposants, l'opposition a refusé de s'assoir en face de dirigeants syriens refusant d'appliquer l'accord conclu à Genève I, à l'aide d'une résolution de l'ONU : la formation par consentement mutuel d'une autorité de transition ayant les pleins pouvoirs exécutifs. Pour l'opposition, comme pour les pays occidentaux et du Golfe, cela implique évidemment le départ de Bachar el-Assad. Depuis mars 2011, la répression de la révolte populaire a entraîné la Syrie dans une guerre civile : au moins 130 000 morts et 9 millions d'exilés. Le régime syrien et son allié russe envisagent un gouvernement, certes élargi à l'opposition mais toujours sous le commandement de Bachar el-Assad, avant l'organisation prochaine d'élections présidentielles libre et démocratique. Election pour laquelle, Bachar el-Assad a d'ailleurs fait savoir qu'il serait candidat… à sa propre succession.

Nous avons explicitement demandé un engagement écrit de la délégation du régime acceptant Genève I, a déclaré le délégué de l'opposition, Haitham al-Maleh. Sinon, il n'y aura pas de négociations directes, a-t-il insisté. L'opposition se berce d'illusions sur le départ de Bachar el-Assad, a répondu vivement Faysal Meqdad, chef adjoint de la diplomatie syrienne. L'autre partie est peu sérieuse et pas prête aux pourparlers de paix, confirme, à la télévision syrienne, Walid Mouallem, ministre syrien des Affaires étrangères et chef de la délégation, en menaçant de quitter les négociations, dès le lendemain, en l'absence de solution… L'opposition retourne le compliment : Depuis le début, la délégation d'Assad lance des mensonges. Elle essaie d'inventer un prétexte pour quitter la réunion, parce qu'il n'est pas dans son intérêt de rester car nous venons ici, avec la communauté internationale, pour appliquer une résolution du Conseil de sécurité, renvoie le leader d'opposition, Burhan Ghalioun.

Positions irréconciliables

Pourtant, hier en fin de journée, Lakhdar Brahimi revient avec une excellente nouvelle : Nous allons nous retrouver demain dans une même salle, annonce-t-il soulagé. Tout ce processus se fonde sur Genève I. Les deux parties l'ont bien compris et l'ont accepté. Il y avait quelques différences d'interprétation sur certains articles, mais j'espère la levée de toute ambiguïté, a-t-il déclaré.

Afin de contourner le refus du régime de signer tout document écrit attestant de la mise en place d'une autorité de transition, il a obtenu des deux parties qu'elles se contentent d'une déclaration orale. Si le régime ne le contredisait pas dans la foulée, alors cela équivalait implicitement à une acceptation des termes de Genève I, expliquent des diplomates présents à Genève.

L'envoyé de l'ONU doit donc réunir les deux camps dans une même salle du palais des Nations, pour une séquence de 30m, où lui seul doit prendre la parole.

Homs au cœur des débats

Avant de se pencher à nouveau sur les questions politiques, les deux délégations devront s'entendre sur des mesures humanitaires pour pallier rapidement aux urgences de la situation en Syrie : 63 décès jeudi étaient dus à la pénurie de nourriture et d'un manque de soins médicaux dans le camp palestinien de Yarmouk au sud de Damas), assiégé par l'armée syrienne… Plusieurs autres régions, sous contrôle rebelle, demeurent, sous le siège de l'armée gouvernementale. Homs, une ville à dimension symbolique et politique forte, dans une situation d'encerclement terrifiante. Si le régime ne fait pas obstacle, l'aide peut s'acheminer très vite. Un accord humanitaire impliquerait de fait un cessez-le-feu de quelques heures entre les belligérants. Une pause humanitaire, précisent les diplomates. Une tentative de collaboration historique inespérée… Jeudi soir encore, le chef de la CNS, Ahmad Jerba, qualifiait le régime d'Assad de criminel qui devait être enterré

Le plus important est que le processus de discussion soit enclenché, insistent-ils. S'ils sont capables de respecter cette pause ne serait-ce que quelques heures, alors nous pouvons espérer, à l'avenir…

*première conférence internationale sur la Syrie organisée sans Assad.

**Chaque délégation compte 15 membres. Le camp syrien est conduit par le ministre des Affaires étrangères,Walid Mouallem. Le négociateur en chef de l'opposition, Hadi al-Bahra a été désigné vendredi. Un illustre inconnu, ne représentant rien par rapport aux combattants sur le terrain disent certains détracteurs… C'est un homme calme, sérieux et réfléchi, qui oeuvre depuis des semaines pour l'organisation de cette conférence. Comme Ahmad Jarba, chef de la Coalition nationale syrienne (CNS, principal conglomérat de l'opposition, NDLR), Hadi al-Bahra, un ingénieur de Damas, est proche de l'Arabie saoudite, principal soutien financier de la CNS avec le Qatar, disent les diplomates.