Burundi : la fragile démocratie a sombré dans le chaos en 3 semaines

A l’origine de cette crise politique, les manifestations sévèrement réprimées par la police d’Etat du Collectif contre un troisième mandat depuis le 26 avril après l’investiture de Pierre Nkurunziza comme candidat du CNDD-FDD, à la présidentielle du 26 juin.

Elu en 2005, par suffrage indirect, puis réélu en 2010, ce nouveau mandat de 5 ans du président sortant serait transgresserait l'accord de paix d'Arusha qui limite à 2 le nombre de mandats présidentiels. Le traité, signé le 28 août 2000, a mis fin à 7 ans de conflits ethniques entre Tutsis et Hutus. L’histoire post-coloniale du Burundi, petit pays de la région des Grands Lacs, à l’est de l’Afrique, a été jalonnée de massacres interethniques. Les mauvais souvenirs de la longue et meurtrière guerre civile ont marqué la mémoire de tous les Burundais. Les affrontements entre majorité Hutue et minorité Tutsie, ont fait 300 000 morts.

On a cru que le Burundi allait connaître la même chose que le Rwanda : un génocide perpétré sur la minorité tutsie. Heureusement, ce n’est pas arrivé, notamment grâce à Mandela, rappelle Jean-Karim Fall, rédacteur en chef à France 24 et spécialiste de l’Afrique. Sous l’égide du président sud-africain Nelson Mandela, une armée paritaire a été créée, comptant exactement autant de Tutsis et de Hutus, et limitant, de fait, le risque de conflit ethnique. L’armée est une force politique qui régule les ambitions politiques des uns et des autres, estime Bob Kabamba, professeur de politique africaine à l’université de Liège, interrogé par France 24.

Fin avril, l’armée s'est donc logiquement interposée entre la police et les manifestants pour éviter les dérapages. Les protestataires considéraient alors que les soldats étaient neutres et les protègeraient des abus des policiers, censés être partisans du président.

Puis, le 13 mai, l’armée s’est divisée entre loyalistes et putschistes. Pendant que le président Pierre Nkurunziza était en déplacement en Tanzanie, des militaires ont tenté un coup d’État menés par l'ex-chef des services de renseignement du président, le général Godefroid Niyombare qui a assuré avoir le soutien de nombreux hauts gradés de la police et de l'armée. Dans la nuit qui a suivi, militaires loyalistes et putschistes ont négocié pour tenter d’éviter un bain de sang. Bien que Vénon Ndabaneze, porte-parole des putschistes, ait assuré que son camp contrôlait pratiquement toute la ville jeudi dans la matinée… A midi, il était impossible de dire détenait le pouvoir à Bujumbura. Pour sa part, le président Nkurunziza, se trouvait toujours à Dar es-Salaam, en Tanzanie. Il suffirait qu’il revienne au Burundi et rassemble ses partisans pour se maintenir au pouvoir, estime le professeur Bob Kabamba

Pour l’instant, c’est une révolution de palais. Une lutte interne au CNDD-FDD. La lutte politique ne s’est pas élargie au domaine ethnique mais cela reste la plus grosse menace pour ce pays, analyse Jean-Karim Fall. Selon Émilie Matignon, spécialiste de ces questions pour le Burundi à l’université de Pau, depuis l’accord d’Arusha, avec une justice transitionnelle, une commission vérité et réconciliation et un tribunal spécial mis en place, le pays était en route vers la démocratie… fragile certes, puisque depuis quelques mois, le président Nkurunziza avait mené une politique autoritaire, comprenant l’exécution d’opposants. Pierre Nkurunziza reste populaire, notamment dans les collines où il a effectué un travail de proximité avec les populations, explique Bob Kabamba qui partage les craintes d’une relance de la guerre civile. Tout ce qui se passe au Burundi peut avoir des répercussions régionales, assure-t-il.

Pour tenter de trouver une issue, les chefs d'État est-africains se sont réunis, mercredi 13 mai, à Dar es-Salaam. Ils ont condamné le coup d'État et demandé un report des élections. Plus de 20 000 Burundais se sont déjà réfugiés au Rwanda et 7 000 en République démocratique du Congo. De nouvelles violences entraîneraient encore un surcroît de migrants. Paul Kagame, le président rwandais, a d’ailleurs demandé à Pierre Nkurunziza, son homologue burundais, d’éviter de lui attirer des ennuis