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Soudan : les manifestants exigent un gouvernement civil

Après 30 ans de domination autoritaire au Soudan, le président Omar el-Béchir, 75 ans,  a été destitué par l’armée ce 11 avril. Mais le pays demeure dans l’incertitude…

Le 30 juin 1989, l’ex-colonel parachutiste pour l’armée égyptienne lors de la guerre du Kippour fait une entrée fracassante dans la vie politique du Soudan en renversant Sadek al-Mahdi, dont le gouvernement a été démocratiquement élu.

Le coup d'État est appuyé par le Front islamique national d’Hassan al-Tourabi. A l’époque le Soudan est morcelé en de nombreuses tribus. Le pays est divisé entre le nord, majoritairement musulman, et le sud peuplé de chrétiens.

Guerre au Darfour et la scission du Soudan

Sous l’influence d’Hassan al-Tourabi, Omar el-Béchir oriente le pays vers un islam radical. En accueillant de nombreux ex-combattants djihadistes d’Afghanistan, Khartoum devient la plaque tournante de l'internationale islamiste : le terroriste Carlos et Oussama Ben Laden chef d'Al-Qaïda, accompagnés de leur haine du monde occidental, sont ses hôtes de marque…

En réaction, Washington impose depuis 1997 un embargo qui paralyse l’économie du Soudan. A la fin des années 1990, Béchir le militaire tente de se démarquer de Tourabi l'islamiste et leurs relations se dégradent jusqu’à les opposés farouchement…

En 2003, une rébellion au Darfour, à l’ouest du pays, est réprimée par l’armée et des milices alliées du pouvoir. Selon l’ONU, le conflit a causé au moins 300 000 morts et 2 millions de déplacés.

En 2009, Omar el-Béchir est le premier chef d’État en exercice à être poursuivi par la CPI (Cour pénale internationale) pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Recherché, il n’est jamais arrêté…

En 2005, Omar el-Béchir se décide à signer un accord de paix avec les rebelles du Sud. Après un référendum sur l'indépendance de cette région majoritairement chrétienne et où sont concentrées les réserves pétrolières du pays, elle devient officiellement en 2011 l'État du Soudan du Sud.

Conséquence directe de la sécession, des émeutes contre une hausse de plus de 60 % du prix des carburants ont ébranlé le régime dès 2013. La révolte a été écrasée par une violente répression policière qui a fait 200 morts et plus d’un millier de blessés.

Mais lors d'un scrutin stalinien, boycotté par l'opposition, Omar el-Béchir est réélu en 2015, pour 5 ans avec plus de 94 % des votes !Mais 3 ans plus tard, l’application du plan d’austérité demandé par le FMI provoque une crise économique qui entrainera sa chute.

Fin 2018, les prix des matières premières augmentent considérablement Notamment le prix du pain, triplé en quelques mois… La contestation, lancée par l’Association des professionnels soudanais et initialement dirigée contre la hausse du prix du pain, s’est étendue à l’expression d’un ras-le bol contre le régime.

Les femmes étaient en première ligne : en plus des appels à la démocratie, elles aspirent à ne plus être considérées comme des citoyennes à part entières. L’image de Alaa Salaa, jeune étudiante de 22 ans, vêtue toute en blanc, est devenue le symbole de leur mobilisation, dans la lignée des kandaka, les reines de la civilisation Méroé…

Omar el-Béchir réprime durement le mouvement et décrète l’état d’urgence le 22 février 2019 et limoge le gouvernement.

Début avril, les protestations reprennent et le président est progressivement lâché par ses forces de sécurité. Et le 11 avril, l’armée annonce sa mise à l’écart. Devant le QG militaire de Khartoum, une masse de manifestants scandent Il est tombé, nous avons gagné !

Chronologie

19 décembre 2018 : Suite à une pénurie, le gouvernement décide de tripler le prix du pain. Des centaines de Soudanais sont dans les rues… Ils incendient le siège du Parti du Congrès National, au pouvoir. Sadeq al-Mahdi, leader de l’opposition revient au Soudan après un an d’exil. L’ex-Premier ministre, avait été destitué en juin 1989 par le coup d’État d’Omar el-Béchir.

20 décembre : Liberté, liberté… Le peuple veut la chute du régime, scandent les manifestants. 8 d’entre eux sont tués lors d’affrontements avec les forces de l’ordre.

21 décembre : Rassemblements à Khartoum et Omdourman.

24 décembre : le président el-Béchir s’exprime pour la première fois. Il promet de vraies réformes. Cela n’empêche pas l’escalade de la violence dans le pays…

Le Royaume-Uni, les États-Unis, la Norvège et la Canada  demandent d’éviter les tirs à balles réelles sur les manifestants, les détentions arbitraires et la censure. Omar el-Béchir qualifie les manifestants de traîtres… mercenaires qui sabotent les institutions de l’État.

1er janvier 2019 : une vingtaine de partis politiques réclament un changement de régime. Après une augmentation des prix des médicaments, Omar el-Béchir décide de limoger son ministre de la Santé.

9 janvier : les forces anti-émeutes tirent à balles réelles dans un hôpital à Omdourman où, selon Amnesty International, étaient soignés des manifestants blessés. Les manifestations s’étendent au Darfour, à l’ouest du pays.

14 janvier : Omar el-Béchir persiste et signe. Nouvelle marche vers le palais présidentiel, plusieurs opposants sont arrêtés.

22 février : l’état d’urgence est décrété et le chef de l’État qui limoge son gouvernement. , Mohamed Taher Ela, le nouveau Premier ministre, prête serment 2 jours plus tard. Les manifestants réclament toujours le départ du président.

1er mars : Omar el-Béchir remet les rênes du Parti du Congrès National (PCN) à Ahmed Haroun. Dans la rue, la contestation, en baisse en raison de l'état d'urgence et des nombreuses arrestations, se poursuit à Khartoum et Omdourman

6 avril : Net regain de la contestation. Pour la première fois depuis le début du mouvement, les manifestants se rassemblent devant le quartier général de l’armée, à Khartoum. En une journée, 2 496 protestataires sont arrêtés. L’armée ne laissera pas le pays sombrer dans les chaos, déclare le ministre de la Défense. Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, appelle à éviter la violence.

8 avril : Les manifestants continuent d’exiger le départ d’el-Béchir et réclament l’ouverture de négociations avec l’armée pour former un gouvernement de transition.

9 avril : Près du QG de l'armée des gaz lacrymogènes sont tirés pour disperser les milliers de protestataires. 11 personnes, dont  6 membres des forces de sécurité, sont tuées malgré les consignes de ne pas intervenir contre la foule.

La police réclame alors un transfert pacifique du pouvoir.

11 avril : Scènes de liesse dans la population : les manifestants sont rassemblés depuis 6 jours devant le QG de l’armée qui promet une déclaration importante bientôt. Des chants patriotiques et militaires retentissent à la télévision qui interrompt ses programmes.